Malgré deux expositions contestées pour la Namibie et le Cameroun, les pavillons africains relèvent le gant de ce rendez-vous international de l’art contemporain.
Le pavillon ivoirien de la Biennale de Venise 2022 avec les photgraphies des créations de Laetitia Ky au premier plan.
Benjamine des six artistes qui représentent cette année la Côte d’Ivoire à la Biennale de Venise, Laetitia Ky exulte. « C’est ma toute première exposition ! Mon premier passage du digital au réel, et quel réel ! », s’enthousiasme la jeune femme de 25 ans, qui a déjà séduit les réseaux sociaux avec ses stupéfiantes sculptures capillaires aux messages féministes. Arborant, le soir du vernissage, mercredi, un impressionnant bouquet de fleurs en guise de coiffure, l’influenceuse aux 6 millions d’abonnés sur TikTok espère désormais « décrocher de nouvelles opportunités ».
Elle le sait, la Biennale de Venise, qui ouvre ses portes samedi 23 avril, est au monde de l’art ce que le Festival de Cannes est au cinéma et les Jeux olympiques au sport : un rendez-vous international où une centaine de pays rivalisent pour séduire quelque 500 000 visiteurs, ainsi qu’un formidable tremplin. Propulsée en 2019 dans le pavillon du Zimbabwe, la peintre Kudzanai-Violet Hwami avait ainsi tapé dans l’œil de la curatrice Cecilia Alemani, qui la présente cette année dans l’exposition internationale de la Biennale. Une édition 2022 marquée par la présence de nombreux artistes africains, malgré les coûts et les difficultés logistiques.
Baptême du feu
« On est très décomplexé, sourit l’artiste ivoirien Yeanzi, parce que nous sommes aussi légitimes à être ici que les artistes français ou américains. » D’autant que le pavillon ivoirien, dont l’organisation se chiffre à 450 000 euros, est monté en gamme, cette année, en s’arrimant dans le beau bâtiment de briques du Magazzini del sale, d’anciens entrepôts de stockage du sel datant du XVe siècle, situés sur les quais des Zattere. Murs noirs et lumière tamisée, la scénographie est soignée et met en valeur les derniers tableaux composés d’objets trouvés de l’artiste Aboudia comme les portraits aux identités mouvantes du peintre Yeanzi. Pour pérenniser cet ancrage, la Côte d’Ivoire a conclu le 21 mars un accord d’occupation du site géré par l’Académie des beaux-arts de Venise pour les prochaines éditions. « Notre chance, précise Henri N’Koumo, directeur chargé des arts plastiques et visuels, au ministère ivoirien de la culture, c’est qu’on est l’un des premiers pays africains à nous être doté d’une école d’art, en 1962, ce qui a fait d’Abidjan un carrefour de l’art sur le continent. »
De l’autre côté de la lagune, près de la place Saint-Marc, l’Ouganda bat pavillon pour la première fois, sous le libellé optimiste de « Radiance » (radieux). Un baptême du feu réussi, faisant dialoguer les peintures de Collin Sekajugo, qui revisite les stéréotypes occidentaux, et les sculptures tissées de raphia, feuille de palme et fibres de bananiers, qu’Acaye Kerunen a commandées à des artisanes ougandaises Bantou. Manière pour la jeune artiste de mettre ces femmes au centre et recoudre les histoires vernaculaires et l’art actuel. « Je suis très fière », confie Acaye Kerunen, qui, au terme de trois mois de lobbying, a pu convaincre l’Etat ougandais de donner son feu vert pour cette présence vénitienne. « Le milieu de l’art, ajoute-t-elle, me disait que c’était impossible, trop compliqué, trop cher. » L’Ouganda n’a d’ailleurs pas mis d’argent sur la table, les frais étant entièrement pris en charge par l’agence bruxelloise de talents Stjarna, fondée par le marchand et conseiller Bjorn Stern.
D’autres Etats ont dû revoir leur engagement à la baisse, suite aux effets économiques de la pandémie et de la crise en Ukraine. C’est le cas du Ghana, qui, pour sa première participation en 2019, avait sorti le grand jeu en exposant les ténors locaux et vedettes de la diaspora, dans une impressionnante scénographie signée de l’architecte star David Adjaye. Mi-avril, le gouvernement ghanéen a imposé des mesures d’austérité pour réduire le poids croissant de sa dette publique. « Il y a tout juste un mois, l’Etat, qui paie la location de l’espace, nous a dit qu’il ne pourrait pas donner d’argent pour la production des œuvres et leur transport », raconte Nana Offoriata Ayim, commissaire du pavillon ghanéen. Mais l’énergique curatrice est rompue aux levées de fonds. Grâce à l’apport de fonds privés, notamment issus du monde de la cryptomonnaie, la jeune femme a pu boucler un budget d’environ 700 000 dollars (646 700 euros). Plutôt que des noms établis, le pavillon ghanéen mise cette année sur de jeunes talents, comme Na Chainkua Reindorf, dont les tableaux composés tels des rébus vantent une féminité libérée de ses chaînes.
Le Zimbabwe, qui bat pavillon depuis 2011, a également diminué sa dotation. « Le pays est en récession depuis des décennies et le Covid-19 n’a rien arrangé, reconnaît la commissaire Faidzai Muchemwa. Mais le ministère de la culture était résolu à ce que quoi qu’il arrive, on soit là. » Ici encore, place aux artistes émergents, comme Wallen Mapondera, dont les peintures composées de papiers grattés et de boîtes d’œufs sont actuellement exposées à la galerie Mitterrand à Paris.
Lot de couacs
Chaque édition de la Biennale de Venise connaît aussi son lot de couacs. Après le loupé du pavillon algérien en 2019 – annulé à la dernière minute –, c’est au tour de la Namibie de rater son entrée sur la lagune. Une semaine avant l’ouverture du pavillon, ses principaux mécènes se sont retirés, suite aux protestations de la scène locale qui, dans une lettre ouverte, dénonçait « une vision démodée et problématique de la Namibie et de l’art namibien ». L’artiste choisi, Renn, est en effet un sexagénaire blanc lié à l’industrie du tourisme, tout comme le « commissaire » du pavillon, Marco Furio Ferrario, consultant stratégique pour des lodges de safari…
Le baptême du feu du Cameroun, avec une exposition dédiée aux NFT (Non-Fungible Tokens, des titres de propriété virtuels) n’est guère plus convaincant : aucun des crypto-artistes présentés sur des écrans Samsung n’est camerounais, ni même africain. Seuls quatre NFT ont été réalisés par des spécialistes de la crypto à partir d’œuvres tangibles d’artistes camerounais.
Même pour les meilleurs, rien n’est acquis et le plus ardu est de durer. L’Angola, qui avait remporté le Lion d’or du meilleur pavillon en 2013 a disparu de la carte vénitienne. Tout comme Madagascar, malgré la performance remarquée de Joël Andrianomearisoa, en 2019, avec son mélancolique labyrinthe des passions. « Il faut maintenir le souffle », reconnaît Henri N’Koumo, qui espère que le prochain ministre de la culture ivoirien aura à cœur de défendre les arts. Pour que la présence ougandaise ne soit pas un coup d’éclat sans lendemain, Acaye Kerunen compte poursuivre son lobbying à son retour. « Je me sens responsable, et j’ai beaucoup appris, notamment à surmonter la bureaucratie, confie-t-elle. Ce que je vis ici, maintenant, j’aimerais que d’autres artistes ougandais en profitent. »
Shaheen Merali, curateur du pavillon ougandais, exhorte la Biennale à créer une coopérative pour accompagner les pays qui y font leurs premiers pas. « Ici, vous êtes face à des nations plus riches, plus connectés, qui connaissent les rouages, rappelle-t-il. Beaucoup de gens se sont employés à aider le pavillon ukrainien et c’est formidable. Mais il faudrait que la solidarité vaille aussi pour le reste de la planète. »
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